LE DANGER
De nos jours le danger ne vient plus des Chinois,
Ni des Ruskofs, ni des Teutons, ni des Ricains,
Qui hier ou avant-hier cherchaient en tapinois
A détruire le globe et tout le genre humain.
Mais alors dans ce cas, qui donc menace qui ?
Tous les tyrans sont morts, disparus les bourreaux,
Maintenant il fait bon vivre à Nagasaki,
Les fleurs sur les charniers repoussent à Dachau.
Le danger aujourd’hui, il nous vient des robots
Qui se sont installés et se sentent à l’aise ;
Ils seraient, nous dit-on, nos zélés collabos,
Mais ils sont si nombreux qu’ils font naître un malaise.
Ils sont sournoisement entrés dans notre vie,
Sans que ni vous ni moi n’y prêtions attention,
On s’en est tous un jour naïvement servi,
Sans prendre, quelle erreur, aucune précaution.
Ils faisaient la purée, la soupe et la vaisselle,
Parlant d’eux on disait les “robots-ménagers”,
Tout le monde en avait plus que des ribambelles,
Au point de n’avoir plus d’endroits où les ranger.
L’aspirateur suçait goulûment la poussière,
L’autocuiseur sifflait avec jubilation,
La glace pour geler avait la sorbetière,
Et le vibromasseur de multiples fonctions.
Puis d’éminents chercheurs les ont perfectionnés ;
Après bien des échecs et tâtonnements vains,
Leur labeur aboutit, et ils leur ont donné
Une allure semblable à celle des humains.
Mais un détail pourtant freinait leur allégresse,
Il manquait quelque chose, un je ne sais trop quoi
Qui les hantait la nuit, et ils n’eurent de cesse
De chercher ardemment et découvrir pourquoi
Leurs copies n’étaient rien que froides mécaniques.
Enfin ils ont trouvé et mis là où il faut,
Rivalisant d’audace et d’adresse technique,
De robustes et fiers organes génitaux.
Sans gêne ils ont bourré leurs têtes et leurs cœurs
De ce que leur offrait la science électronique,
Des puces à foison et des ordinateurs,
Faisant de leurs robots nos parfaites répliques.
Et bientôt ces engins singèrent leurs modèles
Dans leurs plus bas instincts et copulèrent tant,
Que jamais on ne vit une telle kyrielle
De nouveau-nés braillards en aussi peu de temps.
On les trouva partout, à l’usine, au labo,
Au prétoire, à l’armée, même à Rome au conclave,
Si bien que nul ne sait, de l’homme ou du robot,
Lequel agit en maître et lequel est l’esclave.
On est en cartes et en fiches,
Piégés par les ordinateurs,
Jeunes ou vieux, pauvres ou riches,
On est dans leur collimateur.
Ils suivent ta route à la trace,
Ils connaissent mieux que toi-même
Ta vie, ta religion, ta race,
Et le nom de celle qui t'aime.
Ils ont pénétré dans ta bulle,
Ils sont dans ton jardin secret,
Déjà tu n’es qu'un matricule,
Et pour t’asservir tout est prêt.
Ils ont enveloppé la terre
Dans une toile d’araignée,
Assis sur les deux hémisphères,
Ils sont de mèche pour régner.
.Il n'y a pas d'échappatoire,
Tes opinions et tes idées,
Tes angoisses et tes espoirs,
Tout est chiffré, tout est codé.
Tes secrets ne sont plus à toi,
On peut même sur minitel,
Connaître en tapotant d’un doigt,
Le coloris de tes bretelles.
Tu n’es qu'un pion qu'on manipule
Dans un jeu fait de tricherie,
Un truc, un machin, un bidule,
Un bestiau en ménagerie.
S'ils osaient ils te graveraient
Un code-barres à l'avant bras,
Mais ce machin rappellerait
Par trop Dachau et Tréblinka.
Tes numéros d'identité,
D'Assedic et de
Un de ces jours, sans hésiter,
Ils vont te les tatouer au cul.
Soutenues par la haine et par l’intransigence,
L’intolérance aveugle et la sombre bêtise
Cheminent pesamment comme en terre conquise,
Et, laissant sur leurs pas deuils, larmes et souffrances,
N’acceptent pas d’autrui qu’il leur soit différent
Par le ton de sa peau, par sa façon de vivre,
Par le Dieu qu’il honore ou le combat qu’il livre,
Et par les traditions qu’il tient de ces parents.
Qu’importe qu’il soit juif, musulman ou chrétien,
Qu’il adore Bouddha, Allah ou le Messie,
Ou qu’il cherche ses joies maintenant et ici,
Insensible à la foi et ne croyant en rien.
L’intolérance aveugle et la sombre bêtise,
Rejetant les idées que la raison inspire,
Les rêves de progrès auquel le monde aspire,
N’ont considération que pour qui dogmatise.
Elles ont pour soutien la vérité suprême,,
Il n’est point de salut pour qui ne la partage,
Vieilles femmes têtues venues du fond des âges,
Elles jettent à tous leurs sombres anathèmes.
Du racisme portant fièrement le drapeau
Et militant pour le retour de l’échafaud,
Elles font appliquer les lois de leur morale.
L’intolérance aveugle et la sombre bêtise,
Depuis la nuit des temps, ont insufflé la haine
Obtuse et insensible à la détresse humaine,
Sous l’œil accommodant de toutes les églises.
Fortes de leur durée et de leur expérience,
Entravant les enfants qui cherchent par le monde
En se donnant la main à former une ronde,
Elles font régner l’ordre en leur âme et conscience.
Mais la mère qui geint, l’enfant qui agonise,
La dignité bafouée et les peuples meurtris,
Un jour de trop c’est trop, cloueront au pilori,
L’intolérance aveugle et la sombre bêtise.
COSETTE
Je ne sais pas ton nomMais tu es ma copine,
Fillette de Canton,
D'Inde ou des Philippines ;
Toi, tu es mon frangin,
Môme de n’importe où,
De Rome ou de Pékin
D'ailleurs et de partout,
Que mille Thénardier,
Rescapés d'un autre âge,
Modernes négriers,
Tiennent en esclavage.
Fillette de Canton,
Petit gars d'Ispahan,
Ce vieux monde bidon
Ignore ses enfants
Enchaînés à l'usine,
Courbés sur la rizière,
Enterrés dans la mine
Comme en un cimetière,
Qui, la détresse au cœur
Et au ventre la faim,
Echangent leur malheur
Contre un croûton de pain.
Gamine aux grands yeux tristes,
Petit gars de huit ans,
Tendre chair à touristes
Vendue aux plus offrants
Des bordels asiatiques
De Manille et d'ailleurs,
Où l'amour exotique
Tente les amateurs,
On a volé vos rires
Et on viole vos corps ;
Qui donc osera dire
Que l'esclavage est mort?
REVEILLE-TOI BON DIEU
Si quelqu’un de là-haut actionne les ficelles,
Il paraît ignorer qu’ici-bas son théâtre
N’est pas fait de pantins et de polichinelles,
Mais de chair et de sang, de cœurs qui veulent battre
Au rythme d’autres cœurs, d’yeux où brille la joie,
De bouches qui sourient et de langues gourmandes,
De corps trop tôt voûtés sous le poids de la croix,
Alors qu’ils aimeraient danser la sarabande.
Toi qui sais lui parler, dis-lui qu’il est grand temps
D’effacer le tableau et de passer l’éponge,
Eve croquant la pomme et cédant au serpent,
Est-ce un péché si lourd qu’à jamais il nous ronge ?
Ne peut-il accepter quelques péchés mignons,
Quelques légers faux-pas, quelques débordements,
Permettre qu’une fille embrasse un bon garçon,
Sans froncer les sourcils, en souriant gentiment.
Le Paradis, c’est sûr, on en veut tous un bout,
-Les nuages moelleux, les Anges radieux-
Mais ne pourrait-on pas avoir un avant-goût,
Avant que la mort vienne et nous ferme les yeux ?
Toi qui sais lui parler, sois mon porte-parole,
Je n’ai pas l’habitude et n’ai pas la manière,
Dis-lui sans pour autant froisser son auréole,
Qu’il est si court le temps que l’on passe sur terre.
C’est à lui de jouer s’il veut bien, maintenant,
Et fais-lui remarquer, sans lui porter ombrage,
Qu’il est bien malvenu de punir les enfants
Qu’il a créés, dit-on, pareils à son image.
Enfin demande-lui s’il ne se sent pas prêt
A ranger pour de bon ses fléaux, ses carnages,
Et, mettant ses lorgnons, à regarder de près
Ce qui se passe ici, juste sous son nuage.
Toi qui sais lui parler, dis-lui que les humains
Espèrent une époque où il ferait bon vivre,
Sans angoisses au coeur, sans peur du lendemain,
Et qu’il serait grand temps qu’il les aide à survivre.